LES MIROUX, de l’Auvergne au pays bigouden,via le Portugal


Ce texte est extrait de la revue Cap Caval N°13 décembre 1989.

Singulier destin que celui de Charles Miroux. Son grand-père, Jean, était l’un de ces nombreux marchands chaudronniers auvergnats qui au XVIIIe siècle préférèrent les rivages bretons aux vallées cantaliennes. Le petit-fils qui sera ferblantier, tradition familiale oblige, partira pour le Portugal où il finira par diriger une conserverie dans I’Algarve, avant de revenir en Bretagne prendre la direction de la conserverie Amieux Frères à Saint-Guénolé. Ses petits-enfants, Anne et Joseph Gallard, ressuscitent sa mémoire et du même coup lèvent le voile sur un épisode encore méconnu : la participation active des Bretons à la création et au développement de la conserverie lusitanienne. Quand le Portugal sert d’étape entre l’Auvergne et le pays bigouden.

A la fin de la Révolution, deux frères, Auvergnats, chaudronniers ambulants, familiers des routes bretonnes, Louis et Jean Mirou, décident de s’installer définitivement en terre cornouaillaise. Tous deux sont originaires d’Ytrac, paroisse limitrophe, à l’ouest, d’Aurillac, comme les Puech, Dandurand et Lescure, déjà implantés à Quimper, comme les Ourlit à Quimperlé ou encore les Grimai à Plonéis. Des «pays» qui ont balisé le chemin, reconnu le terrain, essuyé les plâtres ; qui ont estimé que, somme toute, le littoral breton valait bien, et même mieux, que les belles vallées d’Auvergne, mais si closes, si déshéritées.
Les Mirou ne sont donc pas en territoire inconnu. Cette Bretagne méridionale, ils l’ont déjà parcourue à plusieurs reprises, au gré de leurs campagnes de marchands ambulants, vendeurs et rétameurs de cuivre et de fonte, leurs hottes ou celles de leurs bidets chargées de bassines, de pots et d’ustensiles les plus divers. A chaque étape de leur périple, à Lorient, Quimperlé, Rosporden, Concarneau ou Quimper, ils retrouvent des compatriotes ayant pignon sur rue, qui les hébergent, et dont la réussite les incite, à leur tour, à mettre banne à terre.
Les frères Mirou sautent le pas. En février 1798, Louis, 25 ans, convole à Quimperlé avec Marie-Vincente Guéguen, à Quimperlé où prospère une petite colonie de Cantaliens. Trois ans plus tard, en novembre 1801, Jean, 25 ans aussi, se marie à Concarneau avec Angèle Casse, la fille d’un chaudronnier d’Aurillac établi dans le port sardinier depuis une trentaine d’années.
Les frères ont troqué les chemins pour la boutique ; les voici devenus «marchands poiliers» à demeure. Mais l’un et l’autre vont très vite perdre leur compagne ; Jean se remarie avec la fille d’un aubergiste de Rosporden et adopte le métier du beau-père.
Les affaires de nos deux immigrés sont si encourageantes qu’elles incitent d’autres Mirou à tenter l’aventure. Trois enfants de leur frère Jean (plusieurs frères Auvergnats portaient souvent le même prénom), resté à Ytrac, rejoignent leurs oncles. Et, pour le moins inattendu, ce sont trois filles, trois sœurs, dont l’aînée a tout juste 21 ans. Marie et Jeanne Mirou épousent chacune un sabotier auvergnat, Antoine Delmas d’Ytrac et Antoine Vaurs, d’Omps ; Anne un gendarme à cheval. Toutes trois se marient à Rosporden, où l’auberge de Tonton Jean sert de pôle de ralliement. A chaque fois leur père est présent, marchand forain lui aussi, plus souvent en Bretagne que sur les bords de l’Authre, la rivière qui arrose Ytrac, mais qui, déjà marié, n’a pu rompre définitivement avec son terroir d’origine.
Les enfants de Jean Miroux (un «x» est venu s’accoler au patronyme) seront charron, marchand de drap, aubergiste, marchand de vin, carrossier. Parmi eux, Eugène, carrossier puis marchand de vin en gros, sera le père de Charles-Hippolyte Marie Miroux dont nous allons à présent suivre l’itinéraire peu banal, en laissant la parole à ses descendants, Anne et Joseph Gallard. Serge DUIGOU

Charles Hippolyte Marie Miroux
Mon grand-père naquit donc le 15 février 1856 à Quimperlé. Il avait 15 ans à la mort de sa mère ; et c’est chez la sœur de cette dernière, habitant Châteaulin, qu’il fut élevé jusqu’à la fin de son adolescence. Là il apprit le métier de ferblantier ce qui devait orienter son existence dans son âge adulte. Très actif dès sa jeunesse, curieux de tout, adroit, il aimait tout ce qui touchait à la cuisine et à l’hôtellerie.
C’est ainsi que plus tard il fit construire un hôtel près du phare d’Eck-mülh dont il espérait alors confier la responsabilité à l’un de ses fils, lui-même parti apprendre le métier de cuisinier en Amérique.
Les événements en disposèrent autrement et cet hôtel fut loué pendant de nombreuses années et finalement il servit de cible aux Allemands en 1940 : plusieurs années après ce ne fut plus qu’un tas de pierres.
En 1876, il s’engage dans la marine pour cinq ans. Il avait été tiré au sort numéro un pour le canton de Rosporden. Breveté Fusilier de lere classe le 15 juillet 1878, il prend part aux combats et à la prise de Sfax en Tunisie le 16 juillet 1881, puis dans la foulée à la prise de Gabès le 24 juillet de la même année. La médaille coloniale lui est décernée et le certificat remis le 25 décembre 1881 à bord du Cuirassé « La Revanche ». Le livret militaire lui donne une taille de lm63 et les yeux roux. Le 25 décembre 1881 il est mis en congé renouvelable et se retire à Rosporden.
En 1883, à 27 ans, il épousa Jenny Mercy à Rosporden, alors âgée de 19 ans. Presque aussitôt, Charles et Jenny décident de partir pour le Portugal. C’est qu’en effet une nouvelle industrie est en train de voir le jour. En effet, en 1795 alors que les frères Louis et Jean quittent leur Auvergne natale, un certain Nicolas Appert détermine les principes de conservation des produits alimentaires par la chaleur.
Naissance des conserves en boîtes
Un test a lieu vers 1804 par le Ministère de la Marine qui confirme le bien- fondé de la théorie de M. Appert. En 1812 le principe de la boîte de conserve est breveté et dans la même année deux Anglais y adjoignent le principe de l’ouverture par clé.
La boîte à décollage que nous connaissons actuellement était née.
On comprend que dès ce moment l’idée de passer du stade artisanal au stade industriel se fasse jour et déjà quelques aventureux installent des bâtiments sommaires, simples baraques en bois recouvertes de tôles pour y préparer les premières boîtes. Un essai grandeur «nature» eut lieu dans des conditions que beaucoup eussent préféré ignorer : la guerre de 1870.
Il faut dire que jusqu’alors les seuls modes de conservation avaient pour agent extérieur le sel et le soleil : salaison et séchage. Sur quelle matière première portait cette préparation: naturellement un produit bon marché et le poisson était le produit idéal. Aussi les premiers industriels utilisèrent-ils de préférence les produits de la mer, et comme la sardine était un poisson abondant on en fit la base de traitement de ces petites entreprises.
Mais il fallait créer de nouveaux matériels. D’abord le contenant: les boîtes qui demandaient des spécialistes : ce furent les ferblantiers. Puis les appareils de cuisson, sortes de bacs en tôle dans lesquels l’huile était chauffée au feu de bois, puis des marmites à ciel ouvert, au départ chauffées au feu de bois également pour la stérilisation. Le bois fit rapidement place au charbon mais la technique resta longtemps similaire.
C’est vers les années 1860-1870 que les entreprises démarrèrent le long des côtes de l’Atlantique, de Brest à Àrcachon, voire St-Jean-de-Luz. Les usines plus généralement appelées friteries puis sardineries s’installèrent.
Côté maritime, les bateaux devinrent plus nombreux afin de répondre à la demande.
Bientôt des industriels soucieux de trouver à la fois une matière première plus abondante et si possible une main d’œuvre encore meilleur marché orientèrent leur recherche vers les pays répondant à ces critères. L’un d’eux attirait tout particulièrement leur regard: le Portugal. Par rapport à la France d’alors on pouvait considérer ce pays d’un terme inutilisé à l’époque : un pays en voie de développement.
Aussi les nouvelles entreprises faisaient appel aux nouveaux techniciens qu’étaient les ferblantiers, les soudeurs, qui se spécialisaient en bordeurs, chauffeurs, découpeurs, toute une classification qui prit corps à mesure des besoins.
La Maison Delory offrait des emplois : Charles répondit à cette offre : sans doute éprouvait-il lui aussi le besoin de changer de pays, de voir du nouveau. Il se souvenait que près d’un siècle avant lui, son grand-père et son grand-oncle avaient senti le même appel. Atavisme : pourquoi pas ? Et puis n’y avait-il pas le cousin germain de Charles, Eugène Boulain, qui sera quelques années plus tard parain de mon oncle Eugène. Ce cousin était parti quelques années avant et c’est sans doute grâce à lui que mon grand- père décida de s’expatrier.

C’est ainsi qu’ayant examiné tous ces points, un riche industriel, Mr Judice FIALHO envisage de construire une usine d’abord à Olhao. Il recherche dans les entreprises situées plus au nord le personnel susceptible d’assurer la structure de cette nouvelle unité. Charles Miroux contacté accepte de partir.
Par quel moyen firent-ils les 300 kilomètres ? Prirent-ils la route de la côte ou celle des Sierras Alentejo et de Molhao ? ou tout simplement le bateau ? Quoique moins long, ceci relevait quand même du défi. Le 20 août 1885 il arrive à Lagos, s’y installe provisoirement puis un an après, en novembre 1886, il rejoint Olhao.

L’usine d’OIhao fut construite, installée ; elle devint active Charles en fut un rouage important. Les résultats furent ceux que l’on attendait, si attractifs même que Mr Fialho décide alors de çonstruire une seconde unité dont il entend confier la direction totale à mon grand-père. Cette conserverie sera construite à Portimao à quelques kilomètres d’Olhao. La famille s’y installa le 1er janvier 1893. Période active s’il en fut et pour avoir vécu dans cette ambiance d’intensité soutenue,
mon mari et moi savons combien captivantes durent être ces premières années où tout est à créer, à installer, où l’on doit être prêt lors de l’arrivée des premiers bateaux. Le recrutement du personnel masculin et féminin, la formation d’équipes nouvelles ; il faut penser à tout. Le responsable doit alors donner toute la mesure de son savoir-faire, mais aussi de sa connaissance psychologique du milieu ambiant.
Cap sur le Portugal
Avec sa jeune femme – ils étaient mariés depuis trois mois – ils prirent le bateau qui devait les conduire dans la région de Lisbonne. Le confort dans ce type de moyen de transport n’était pas la qualité principale. La traversée du Golfe de Gascogne fut une épreuve très dure pour cette jeune femme et future mère, car elle était enceinte d’à peine trois mois. Le bateau contourna le Cap Finistère, fit cap au Sud et accosta au Sud de Lisbonne au port de Setubal.
C’était, c’est encore un port très important, mais dont la structure a beaucoup changé depuis cette date. Nous avons visité cette ville il y a quinze ans et nous avons reconstitué par la pensée l’activité qui devait être celle de ces années 1883 et suivantes. Nous y avons vu – inutilisée – l’usine qui avait été en service vers ces années-là. Les bâtiments, en 1883 sortaient de terre et il fallait tout équiper. Les Miroux firent partie des nouveaux arrivants mais des Bretons de toute la côte se retrouvaient dans cette ville.
Charles, d’abord ferblantier devint vite contremaître ayant sous ses ordres plusieurs boîtiers. A Sétubal naîtra le premier enfant de Charles et Jenny : ce sera mon oncle Charles, le 24 avril 1884.

Plusieurs années passent, les usine prospèrent. Puis des groupes industrielsportugais envisagent à leur tours d’investir (un terme pas très bien connu encore à l’époque) dans les conserveries. L’Algarve, partie sud du Portugal est pratiquement une terre vierge : loin de toute communication, pas de ville importante.
Abritée par le Cap St- Vincent, d’accès peu facile, Lagos est un peu désolée. Faro par contre est un port abrité au fond d’une baie protégée par le Cap Ste-Marie et tout près Olhao bien au calme au fond de sa baie. Le poisson abonde dans les parages puisque pratiquement peu pêché.
Retour aux sources
Au milieu de tout cela, la vie familiale continuait. Mon oncle Eugène naquit en 1889 à Olhao et ma mère en 1893 à Villanova de Portimao.
Nous avons eu la chance de visiter l’usine de Portimao il y a une quinzaine d’années, usine dont une grande partie du hall principal date du temps de mon grand-père. Le sol et les murs ayant bien entendu été entretenus. Grâce à l’amabilité du Directeur, dans un excellent français, nous avons pu circuler au milieu des installations.
Dans le bureau directorial un énorme cadre représentant une photographie de M. Fialho en pied, était en place d’honneur au milieu de la face principale du mur. Il était le parrain de ma mère qui pendant longtemps entretint avec lui une correspondance suivie. Une rue de Portimao portait le nom de cet industriel.
Voilà donc restituée à grands traits l’ambiance dans laquelle vécurent mes grands-parents, ma mère et mes oncles. Mais les aînés – l’un avait 15 ans, le cadet 10 – n’entendaient parler que le portugais et il fallait songer à leur faire poursuivre des études et rentrer en France. 1896 fut l’année du retour, avec un certain soulagement pour les uns, ma grand-mère en particulier, mais aussi un grand déchirement d’avoir à quitter un pays, des gens qu’ils avaient appris à aimer, des personnes dont certaines unies par les mêmes difficultés vaincues ensemble, étaient devenues des amis.
Mon oncle Charles, l’aîné des enfants, pouvait s’exprimer parfaitement en portugais et quelques années avant sa mort il pouvait parfaitement converser en cette langue.
Charles Miroux en pays bigouden
La famille rentra donc en France le 15 avril 1896 et se fixa pour quelque temps semble-t-il dans le Sud-Finistère. Faute d’avoir dans l’immédiat une activité en rapport avec ce qu’il recherche et avec ses connaissances habituelles, il crée une entreprise de fabrique de bouchons. Le Portugal était et est encore très riche en chêne-liège, et dans la famille, les marchands de vins lui en avaient sans doute donné l’idée. Cette petite affaire dura peu. D’autant que la Maison Amieux Frères recherchait un Directeur pour son usine de conserves de poisson de Saint-Guénolé. Il s’y proposa et fut agréé surtout en raison de son activité passée. En fait il y passa trente années de sa vie.
Il y vécut toutes les transformations que le progrès apporta dans cette industrie. Depuis la modernisation des boîtages, le remplacement des soudures par le sertissage, l’apparition des premières sertisseuses, les grèves qui s’ensuivirent. Mais il fallait persévérer et essayer malgré tout que ce progrès ne se fasse pas au détriment des ouvriers et ouvrières.
Côté mer, la pêche au filet droit s’essoufflait, donnant certes un poisson d’excellente qualité mais aux revenus trop aléatoires et ne cadrant plus avec l’industrialisation des entreprises de transformation.
Les premières chaloupes essayèrent par un autre moyen d’augmenter leurs prises en groupant quatre filets droits puis en y ajoutant des plombs pour le fond, des cordages formaient le sac et à la surface on ajoutait des séries de flotteurs : avant le terme le filet tournant était né. Beaucoup de discussions, les pour, les contre, à coup de décrets ici, d’arrêtés là, la bataille était rude. Mon grand-père fut parmi les promoteurs du filet tournant qui devint très en vogue à St- Guénolé cependant qu’à Douarnenez il était mis à l’index.
Ce fut presque une affaire politique à l’image de l’Affaire Dreyfus et comme les avis étaient partagés, chacun avait des arguments défendables, on en discuta longtemps, longtemps… jusqu’à il y a quelques dizaines d’années. En 1901 un quatrième enfant naquit au foyer de St-Guénolé, ma tante Jeanne qui devint ma marraine.
Charles Miroux prit une part active dans la vie publique de sa commune. Il fit partie du conseil municipal de St- Guénolé de 1900 à 1904 puis fut élu de nouveau en 1912 où il fut premier adjoint de 1912 à 1919. Ses deux activités professionnelles et publiques firent que de tous les instants il fut mêlé à la vie de sa commune. La guerre de 14-18 lui fournit l’occasion de se dépenser sans compter et sa place de 1er adjoint lui donna hélas l’occasion de côtoyer bien des malheurs et beaucoup de souffrances.
Président du Canot de sauvetage de St-Guénolé, la Médaille de Bronze et un certificat de reconnaissance lui furent décernés le 12 février 1923. En 1924 il prit une retraite bien méritée et avec ma grand-mère il se retira d’abord à Pont-PAbbé, face à la gare, puis chez nous à Belle-Ile où il décéda en 1932 et ma grand-mère en 1934. Anne et Joseph GALLARD

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